Le secret de l’Europe? La première Communauté européenne créa une structure démocratique des États, mais seulement dans quelques secteurs précis mais vitaux. Elle n’est pas une fédération comme les Etats Unis d’Amérique ou le Canada mais une communauté de droit pour sauvegarder les valeurs de justice internationale. Ses pouvoirs ne s’étendent pas à tous les secteurs mais créent une solidarité de valeurs soutenue par le droit démocratique commun. Elle agit seulement là où le droit est nécessaire pour bien gérer les relations existantes.
La première communauté définissait la Démocratie supranationale avec ses cinq
institutions-clés dont une Cour de
Justice. Il y avait également une démocratie des États ou gouvernements
dans le Conseil de ministres;
une démocratie des citoyens dans l’Assemblée
européenne; une démocratie représentative des groupes ou collectivités
(entreprises, syndicats et consommateurs) dans le Comité consultatif et une Haute Autorité (la Commission européenne) désintéressée et
indépendante qui a pour but de proposer les mesures de bien commun et gérer les
décisions ainsi prises ensembles par le Conseil des Ministres et les autres
institutions. Chaque institution est dotée de sa propre façon démocratique de
pouvoir dire ‘Non’. Pouvoir dire Non,
c’est ce qui définit une Démocratie.[1]
Les collectivités d’Etats ont besoin de la sûreté de droit efficace de la
même façon que les citoyens dans un État à un niveau plus bas. Le droit
supranational ouvre la voie de l’arbitrage et les moyens pour créer une
stratégie paisible de longue haleine et ‘une
entente et une coopération si solidement organisées entre elles qu’aucun
gouvernement ainsi associé ne pourra plus s’y soustraire.’
La première Communauté apportait une supervision supranationale de toute
production et du marché du charbon, du fer et de l’acier, les éléments
essentiels de la guerre et eux-mêmes les sources de guerres. Le charbon est un
combustible et également une source de produits chimiques explosifs. La
Lorraine de Robert Schuman avec ses minerais précieux était une des victimes les
plus constantes dans des guerres meurtrières.
Grâce au charbon abondant, les machines ont centuplé l’efficacité de
l’effort humain. En 1870, les trois quarts de la production d’énergie dans le
monde, étaient fournis par les six pays qui devinrent membres de la Communauté
et son membre associé, la Grande Bretagne.[2] Ainsi cette croissance
de productivité et d’invention changeait le monde connu par nos aïeux. Le
progrès moral ne se développait pas de pair. Les ressources propres se
révélèrent insuffisantes et, comme le pétrole et le gaz aujourd’hui, devinrent
des sources de conflits mondiaux.
Schuman expliqua que le droit supranational de l’Union inaugurait une
nouvelle étape à travers les siècles de l’histoire du développement mondial. La
communauté fit ‘une brèche’.[3] Elle est ‘nécessaire pour le salut de nos peuples
démocratiques’. Cette brèche revêt d’une importance mondiale et à travers
toute l’histoire des civilisations. Il ne s’agit pas moins de ‘l’inauguration d’une nouvelle politique qui constituera
probablement la suprême tentative de sauver notre continent et de préserver le
monde du suicide’, dit-il un an avant la décision du gouvernement sur la
supranationalité.[4] Cette brèche ouvert une
nouvelle époque dans l’histoire, la réconciliation des nations dans des
associations supranationales.[5] Robert Schuman créa
ainsi une nouveauté dans le monde : un contrôle démocratique au niveau des
États.
‘L’ordre supranational ne crée pas la
dépendance des États ; il tient compte des dépendances existantes et de la solidarité.
Il les normalise, les remet sur les voies juridictionnelles. Il les protège
contre tout abus, contre l’exploitation égoïste du faible par le plus fort.’[6]
Robert Schuman, Jalonneur de la Paix Mondiale
David Heilbron Price
ISBN: 978-1-291-43392-0
[1] Le Comité consultatif,
représentant la société organisée civile spécialisée, reste sous-développé. Cet
organe devait être représentatif démocratiquement selon les traités, mais ses
membres sont toujours nommés par les gouvernements eux-mêmes au Conseil des
Ministres, mesure que Paul Reuter classa comme illégal. (La CECA, p58.) Le Comité économique et social reste une institution
démocratique européenne qui n’a pas encore dit Non, en refusant un Avis ou en
opposant la législation européenne.
[2] Armand, Louis et al:
Rapport Armand, Un Objectif pour Euratom.
1957.
[3] Schuman: Pour l’Europe, p175. Paris 1963.
[4] Discours à Strasbourg,
le 16 mai 1949, reproduit par Price: Schuman
or Monnet, the real Architect of Europe, p47.
[5] Schuman: discours à
Strasbourg, 16 mai 1949,
[6] Discours en allemand à
Mayence, le 21 mai 1953.