13 février 2014

3. Le Secret de l'Europe


Le secret de l’Europe? La première Communauté européenne créa une structure démocratique des États, mais seulement dans quelques secteurs précis mais vitaux. Elle n’est pas une fédération comme les Etats Unis d’Amérique ou le Canada mais une communauté de droit pour sauvegarder les valeurs de justice internationale. Ses pouvoirs ne s’étendent pas à tous les secteurs mais créent une solidarité de valeurs soutenue par le droit démocratique commun. Elle agit seulement là où le droit est nécessaire pour bien gérer les relations existantes.
La première communauté définissait la Démocratie supranationale avec ses cinq institutions-clés dont une Cour de Justice. Il y avait également une démocratie des États ou gouvernements dans le Conseil de ministres; une démocratie des citoyens dans l’Assemblée européenne; une démocratie représentative des groupes ou collectivités (entreprises, syndicats et consommateurs) dans le Comité consultatif et une Haute Autorité (la Commission européenne) désintéressée et indépendante qui a pour but de proposer les mesures de bien commun et gérer les décisions ainsi prises ensembles par le Conseil des Ministres et les autres institutions. Chaque institution est dotée de sa propre façon démocratique de pouvoir dire ‘Non’. Pouvoir dire Non, c’est ce qui définit une Démocratie.[1]
Les collectivités d’Etats ont besoin de la sûreté de droit efficace de la même façon que les citoyens dans un État à un niveau plus bas. Le droit supranational ouvre la voie de l’arbitrage et les moyens pour créer une stratégie paisible de longue haleine et ‘une entente et une coopération si solidement organisées entre elles qu’aucun gouvernement ainsi associé ne pourra plus s’y soustraire.’
La première Communauté apportait une supervision supranationale de toute production et du marché du charbon, du fer et de l’acier, les éléments essentiels de la guerre et eux-mêmes les sources de guerres. Le charbon est un combustible et également une source de produits chimiques explosifs. La Lorraine de Robert Schuman avec ses minerais précieux était une des victimes les plus constantes dans des guerres meurtrières.
Grâce au charbon abondant, les machines ont centuplé l’efficacité de l’effort humain. En 1870, les trois quarts de la production d’énergie dans le monde, étaient fournis par les six pays qui devinrent membres de la Communauté et son membre associé, la Grande Bretagne.[2] Ainsi cette croissance de productivité et d’invention changeait le monde connu par nos aïeux. Le progrès moral ne se développait pas de pair. Les ressources propres se révélèrent insuffisantes et, comme le pétrole et le gaz aujourd’hui, devinrent des sources de conflits mondiaux.
Schuman expliqua que le droit supranational de l’Union inaugurait une nouvelle étape à travers les siècles de l’histoire du développement mondial. La communauté fit ‘une brèche’.[3] Elle est ‘nécessaire pour le salut de nos peuples démocratiques’. Cette brèche revêt d’une importance mondiale et à travers toute l’histoire des civilisations. Il ne s’agit pas moins de ‘l’inauguration d’une nouvelle politique qui constituera probablement la suprême tentative de sauver notre continent et de préserver le monde du suicide’, dit-il un an avant la décision du gouvernement sur la supranationalité.[4] Cette brèche ouvert une nouvelle époque dans l’histoire, la réconciliation des nations dans des associations supranationales.[5] Robert Schuman créa ainsi une nouveauté dans le monde : un contrôle démocratique au niveau des États.
L’ordre supranational ne crée pas la dépendance des États ; il tient compte des dépendances existantes et de la solidarité. Il les normalise, les remet sur les voies juridictionnelles. Il les protège contre tout abus, contre l’exploitation égoïste du faible par le plus fort.[6]


Robert Schuman, Jalonneur de la Paix Mondiale
David Heilbron Price
ISBN: 978-1-291-43392-0

[1] Le Comité consultatif, représentant la société organisée civile spécialisée, reste sous-développé. Cet organe devait être représentatif démocratiquement selon les traités, mais ses membres sont toujours nommés par les gouvernements eux-mêmes au Conseil des Ministres, mesure que Paul Reuter classa comme illégal. (La CECA, p58.) Le Comité économique et social reste une institution démocratique européenne qui n’a pas encore dit Non, en refusant un Avis ou en opposant la législation européenne.
[2] Armand, Louis et al: Rapport Armand, Un Objectif pour Euratom. 1957.
[3] Schuman: Pour l’Europe, p175. Paris 1963.
[4] Discours à Strasbourg, le 16 mai 1949, reproduit par Price: Schuman or Monnet, the real Architect of Europe, p47.
[5] Schuman: discours à Strasbourg, 16 mai 1949,
[6] Discours en allemand à Mayence, le 21 mai 1953.

08 janvier 2014

2. La Paix en Europe et une Super-Puissance nouvelle




Une super-puissance est entrée sur la scène mondiale, apparemment sans bouleverser les vieux États-nations. Ce groupe de pays qu’on appelle l’Union Européenne avec son demi-milliard de citoyens détient déjà la grandeur des États Unis d’Amérique. C’est la plus grande puissance commerciale dans le monde. Et pourtant les anciens et les nouveaux États de l’Europe continuent à être plus robustes que jamais. À quoi cela est-ce dû?
Au Nord, les États-nations de la mer Baltique, antérieurement incorporés dans l’Union Soviétique, et les anciens États du Comecon de l’Europe centrale y compris Chypre, cette île asiatique dans la Méditerranée ensoleillée, y ont trouvé la garantie de la démocratie. D’autres grandes nations comme l’Ukraine et la Turquie se hâtent de s’y joindre. Des États nouveaux d’inspiration démocratique comme la Slovénie, la Croatie, la Serbie, et la Bosnie, arrachés douloureusement des entrailles d’une Yougoslavie oppressive et moribonde, perçoivent dans l’Union une nouvelle espérance : une zone de paix et de liberté. L’Europe n’est plus un ‘vieux continent’ mais un continent en pleine renaissance, un modèle politique, un exemple de réconciliation et une expérience vivante pour tous ceux qui cherchent la paix. Les vielles habitudes sont exposées à fin de les corriger démocratiquement.
L’Union Européenne continue d’ébranler le monde, les idéologies et les dogmes, non pas comme une super-puissance guerrière mais comme une super-puissance civile et pacificatrice, soutenant les pays qui cherchent la construction d’une vraie démocratie.
Les jalons de la paix clôturant l’ère de guerres fratricides ne furent pas posés par hasard.

Le Droit et cette Paix inconnue
Le 9 mai 1950, Robert Schuman, Ministre des Affaires étrangères français, provoqua la naissance de ‘l’Europe’ en établissant aussitôt une Communauté Européenne de destin et de droit. Cet acte de réconciliation, cinq ans presque jour pour jour après la fin d’une guerre mondiale sanglante et haineuse fut accompli, disait-il, ‘essentiellement pour la paix. Pour que la paix puisse vraiment courir sa chance, il faut, d’abord qu’il y ait une Europe.
L’honneur est à la France qui, de tous les États du monde, prit la première décision gouvernementale de consentir à renoncer partiellement à sa souveraineté et partager avec autres pays démocratiques. À plusieurs reprises en 1949 et en 1950 Schuman expliquait dans ses grands discours publics pourquoi l’Europe était nécessaire et dans quel but: ‘non pour elle-même, non pour une fin en soi, mais comme une nécessité, comme le seul moyen de surmonter les égoïsmes nationaux, les antagonismes et les étroitesses qui nous tuent’.[1]
L’Europe était en ruines. Loin d’être paisible, elle avait une tradition, une histoire continue de guerres vieille de deux mille ans. Presque toutes les générations ont connu des batailles meurtrières et sanglantes.
Il y eut également des milliers de traités de paix signés après presque toutes les guerres. Aucun n’a réussi. Toute cette virulence d’histoire et de violence est bouleversée, grâce aux initiatives de Robert Schuman. L’Europe de l’Ouest vit maintenant sa plus longue période de paix.
Quand, après la guerre, nous avons posé les premiers jalons de la politique européenne, …la coopération entre l’Allemagne et la France était pour l’Europe le problème capital ; sans l’Allemagne, tout comme sans la France, il serait impossible d’édifier l’Europe,’ écrit-il.[2]
En 1945 après la haine de la guerre, que d’obstacles à franchir pour la réconciliation ! Les adversaires de l’Allemagne se trouvaient sur tout l’éventail politique ; l’addition de ces voix ainsi que le vote systématiquement opposé des députés communistes et gaullistes pourraient fort bien constituer une majorité de mise en échec de tout projet intégrant l’Allemagne.[3]
Puis, cinq années plus tard, cette nouvelle super-puissance s’est développée organiquement par un noyau technique mal reconnu: la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, la CECA.
Comme Robert Schuman l’avait prédit, elle fut la source d’une grande expérience positive et insolite: plus de soixante ans de paix interne et de prospérité, sans précédent historique. Il est impossible de trouver un telle période dans toute l’histoire des peuples créateurs de cette première communauté où personne n’a trouvé la mort dans les guerres entre les États. Ne parlons pas des autres européens en dehors de la Communauté, les Balkans, le Caucase, la Bélarus ou plus loin. …


Robert Schuman, Jalonneur de la Paix Mondiale
David Heilbron Price
ISBN: 978-1-291-43392-0


[1] Strasbourg, 1950. Voir aussi, par exemple, ses discours de 1949 à Londres, Strasbourg et à Bruxelles réédités en Schuman or Monnet? The real Architect of Europe. ISBN: 0952727641.
[2] Schuman, Pour l’Europe, pp109-110.
[3] Lejeune, René: Robert Schuman père de l’Europe, p145. Paris 2000.